vendredi 16 mai 2008

De Nietzsche à la conscience collective aujourd'hui

Un siècle entier, même le plus destructeur de toute l'histoire de l'humanité, ne suffit guère à annihiler la pensée, Nietzsche fut bel et bien un visionnaire car il avait perçu la crise métaphysique qui allait faire de l'homme une formidable machine d'autodestruction. Ce philosophe rejeté à tout le moins dans la terrifiante obscurité du néant n'en est pas moins l'un des maîtres à penser de l'Occident, son enseignement a malheureusement été récupéré par les nazis pour mener à bien leur entreprise du pire.
La pensée nietzschéenne est à ce point complexe qu'elle a conduit à des interprétations fallacieuses et destructrices, mais il ne s'agit absolument pas d'un système de pensée figé. Ce que dit Nietzsche, en substance, c'est de la matière à penser la responsabilisation, Il arrache la liberté de son au-delà mythique et replace son couronnement tout au creux des mains de l'homme.

Dans "la naissance de la tragédie", Nietzsche rappelle la dichotomie inhérente à l'être, sa dimension apollinienne( liées à toutes les facultés créatrices de formes, de logos, de mythes et de religions) et sa dimension dionysiaque (liées à l'ivresse des profondeurs de l'être lorsque l'homme reconnaît en lui-même l'autre comme un frère), ces deux instincts de la mesure et de la démesure qui forment l'équation à une inconnue: l'être.

L'homme pris entre ces deux mondes du rêve et de l'ivresse devient artiste à mesure qu'il se défait de son destin, selon le philosophe, le principe d'individuation (fléau de notre siècle) ne peut se combattre que par la résurgence de "l'Un primordiale", cette matrice de l'humanité qui lui confère un seul et même but (la concorde), là où il n'y a de guerre que celle des idées. En réalité, Nietszche parle ni plus ni moins que de la solidarité et cela relève autant d'un pur instinct de conservation que d'une haute idée de la conscience collective défaite de la morale judéo-chrétienne.

La volonté de puissance exprimée par le philosophe ne relève ni de la violence sur l'autre ni de la domination de quelques privilégiés, c'est tout simplement l'inverse, c'est la somme des forces d'un individu qui le font aspirer à un plus haut degré de liberté, il s'agit d'une guerre intestine contre soi-même, contre tout ce qui nous incline et nous fait croire que nos chaînes sont indestructibles et qu'il nous faut les porter avec courage et abnégation.

NS, aussi inculte soit-il, suit (contrairement à ce que l'on nous dit)une ligne politique car il a bien compris que cette crise de la pensée était un terreau fertile, que la culpabilisation était l'arme absolu contre toute revendication de liberté et de justice, l'homme sans dieu perdu dans les méandres de l'existence craint l'autre parce qu'il a peur de lui même et de l'horizon qui s'offre à lui, s'il n'est pas conscient de sa puissance en tant qu'individu, il ne peut comprendre la force de l'union et en cela peut-être Marx et Nietzsche n'étaient pas si en désaccord.

Lors même que la liberté est assaillie de toutes parts et que des individus luttent pour l'intérêt collectif, on trouve toujours en face des esclaves désabusés pour nier jusqu'à l'évidence de leur condition, pour se déresponsabiliser du sort qui les attend, pour se réfugier dans un semblant de conscience fondée sur la morale et son néfaste corollaire... la culpabilité.

"La morale qui est ici en vigueur exige assurément quelque chose d’inverse, en l’espèce une culture rapide, pour que l’on puisse rapidement devenir un être qui gagne de l’argent, mais aussi une culture assez approfondie pour que l’on puisse devenir un être qui gagne beaucoup d’argent. On ne permet la culture à l’homme qu’en proportion de ce que demande l’intérêt du gain, mais c’est aussi dans la même proportion qu’on l’exige de lui."

NIETZSCHE, Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement (1872), traduction Backès, Idées/Gallimard, 1973, p. 43-47

La lutte des classes n'a pas cessé et lorsque Nietzsche parle de "la puissance de la volonté" il parle de forts et de faibles, en réalité, il souligne (et Alain après lui) que n'est vraiment esclave que celui qui est pétri de "mauvaise conscience" car il refoule ses "instincts de liberté". Les faibles sont précisément ces victimes de l'illusion: il s'agit autant de ceux qui croient dominer que de ceux qui pensent que le combat est vain.
Le style est sombre mais l'idée est claire, lumineuse...foudroyante(?): la force n'est jamais du côté des oppresseurs.

Más oscura está la noche más cerca está el despertar!


GREVE GENERALE!!!

mardi 6 mai 2008

Les mythes de la pensée "petite bourgeoise"

Les mythologies de R. Barthes auraient pu bien vite me tomber des mains tant ce technicien littéraire me faisait peur, en effet, certaines analyses comportent ce qu'on appelle en traductologie des "résistances", un lexique jargonneux, des références savantes et parfois extrêmement allusives, autant d'obstacles à surmonter pour un lecteur lambda peu coutumier de la langue de l'essayiste.

On se transforme peu à peu en une sorte d'explorateur de cette écriture hiéroglyphique, on rencontre les mêmes difficultés qu'un Champolion mais aussi les mêmes plaisirs... car le regard tantôt panoramique tantôt kaléidoscopique que Barthes pose sur la société occidentale du milieu du siècle dernier arrache les pensées de leur au-delà mythique et les enracine dans un quotidien prosaïque très signifiant.

Il décortique avec talent et un sens de la précision inouï les mythes fondateurs de la société "petite-bourgeoise" et montre combien il est important de revenir à une pensée fertile qui ne se contente pas des "pâquerettes".

L'auteur déverse un fiel intelligent sur une pensée subie et conchie le supposé "bon sens" français, celui des "petites gens" (dixit Poujade ou Raffarin), mais aussi celui des intellectuels et des critiques. Il existe, écrit-il, une "critique muette et aveugle" qui ne comprend rien à l’existentialisme ou au marxisme, et s’en vante au nom de ce bon sens pour lequel les idées trop complexes seraient inaccessibles au commun des mortels.

"Le vrai visage de ces professions saisonnières d’inculture, écrit Barthes, c’est ce vieux mythe obscurantiste selon lequel l’idée est nocive, si elle n’est contrôlée par le "bon sens" et le "sentiment".

Certains de ces textes sont inoubliables, comme « Le monde où l’on catche », témoignant, par-delà la critique, de la fascination de Barthes pour la culture populaire, ou « L’écrivain en vacances », indice de la curiosité que l’homme de lettres n’a pas encore cessé de susciter dans les mentalités françaises.
de l’abbé Pierre aux magazines (Paris-Match, Elle, etc.), du Tour de France à "l’usager de la grève"(objet de scandale pour le petit-bourgeois), on retrouve chacun de ces "mythes" dans la France d’aujourd’hui, aussi vigoureux qu’il y a cinquante ans.

Barthes a saisi, a révélé (au sens photographique du mot qu’il aimait bien) les forces négatives qui travaillaient son pays à travers quelques "clichés", ces forces ont forgé le creuset d'une pensée constipée qui stigmatise nos sociétés de façon paroxysmique, la lecture de ces articles nécessite quelques clés mais si l'on a envie d'ouvrir les portes que Barthes nous présente...on aura une lumière nouvelle sur les tares de notre société et l'on pourra tenter de construire une pensée digne de ce nom et les moyens de son action.

La pierre de touche des Mythologies de Barthes est que La pensée "petite-bourgeoise" s'exprime partout où il y a un nivellement par le bas ou le niveau d'exigence s'approche du degré zéro, on pense inévitablement au sort de l'école aujourd'hui et au refus de donner des clés (pourtant fondamentales) aux gamins, le pire c'est que ces mythes pénetrent jusqu'au discours de certains esprits de gauche sans même qu'ils s'en aperçoivent!

La simplification à l'extrême de la pensée s'incarne dans les tautologies qui polluent la réflexion et qui littéralement finissent par l'anéantir, en effet, pour Barthes qui base sa réflexion sur la sémiologie de Saussure et la sociologie marxiste, le mythe est une « Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu ou d’un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation ».

Pour ne donner que deux exemples de la façon dont le mythe est véhiculé, Barthes joue sur son terrain, il analyse quelques figures rhétoriques pour le moins... éloquentes:

La vaccine - « On immunise l’imaginaire collectif par une petite inoculation du mal reconnu »: voir le pseudo- mea culpa médiatique de NS: "j'ai ma part de responsabilité"

La privation d’histoire - « Le mythe prive l’objet dont il parle de toute Histoire »: voir l'horrible discours de Dakar sur les peuples "a-historiques"

La tautologie est alors l'incarnation linguistique du mythe :
« on se réfugie dans la tautologie comme dans la peur, ou la colère, ou la tristesse, quand on est à court d’explication »: voir le discours de Latran en décembre 2007 sur la "laicité positive", ou encore l'histoire des caisses vides par exemple...