vendredi 26 juin 2009

PÉROU - Le nouveau visage de l’oppression



La CIDH (Comision Interamericana de los Derechos Humanos) est l’une des nombreuses ramifications de l’OEA (Organisation des États américains), tout en dénonçant les « affrontements » (Le Figaro du 06/06/09) ou « les violences » (Libération du 09/06/09) et la mort de paysans à Bagua (Pérou, au nord-est de Lima) survenus le 05 juin 2009, elle en appelle au dialogue. Nous commençons à connaître ce genre de réconciliation des inconciliables. En effet, comment renouer un dialogue qui n’a jamais eu lieu ? Comment en appeler à l’apaisement des colères d’un peuple quand on joue sa vie ? Mais la CIDH a pointé du doigt des tensions et si nous regardons autour de ce qui nous est désigné, apparaît une politique hostile à l’égard du peuple péruvien et un mépris total pour la vie et le travail des paysans indiens.

La politique social-démocrate du président péruvien Alan Garcia, à l’instar de celle de Bachelet au Chili (cf la situation du peuple mapuche) semble bien avoir tombé le masque.

Les paysans ont bloqué la voie d’accès à la ville de Bagua, et ils ont été, selon Alan Garcia, « dispersé » par la police nationale, en réalité, ce fut une curée d’une violence extrême qui s’est terminé par la mort d’une trentaine d’hommes abattus comme des chiens.

Ces « dangereux terroristes » ne faisaient que se révolter contre le pillage et le dépouillement de leurs terres par les transnationales a qui le président a donné carte blanche pour leur installation dans le cadre de l’Accord de libre-échange (TLC en espagnol) avec les États-Unis.

Tandis que l’association toujours poignante des « Mères de la place de mai » en Argentine a rendu hommage au soulèvement indien :

« Nous voulons saluer nos amis péruviens qui en ont eu assez, qui se sont rebellés et ont dit « Basta », comme toujours en y jouant leurs vies. Mais lorsque nous le peuple, nous nous rebellons, même si nous y laissons la vie, le plus souvent, nous savons que nous allons gagner ». Et de conclure à propos d’Alan García et de son gouvernement : « Nous savons bien qui les paye, qui les commande et qui les amène au pouvoir. Hélas, l’empire possède encore de nombreuses mains plongées un peu partout. »

La réaction haineuse de quelques-uns parmi les hommes les plus haut placés du pays s’offusquent, se scandalisent, eux, de ces événements tragiques. Selon le cardinal Juan Luis Cipriani, personnage clef de l’Église Catholique péruvienne et membre de l’Opus Dei, l’objet du scandale est la mort des policiers lors de l’intervention, celui-ci a déclaré au lendemain de ces événements :

« L’Église voit avec une profonde douleur ces événements car nous n’avons affaire ici ni à la défense du peuple, ni à un groupe de natifs, ni au gouvernement, mais à l’Église (...) Jésus Christ n’a jamais appelé à la subversion, il n’a jamais fondé d’ONG qui ne font que poser des problèmes. » [1]

Ces paroles en disent long sur les problématiques qui persistent au Pérou, elles nous rappellent que ce même cardinal a toujours défendu le « dictateur en cavale » Fujimori qui, lui non plus n’a jamais compris la « nécessité » des révoltes du peuple, en témoigne son « Gouvernement d’urgence et de reconstruction nationale » initié en 1992.

Tandis que l’ONU parle de « massacre », le leader indien Alberto Pizango parle lui de « génocide » car, explique-t-il, « On a déjà tué mes frères » [2]

Alan Garcia apparaît comme faisant partie de la mouvance politique centre-gauche, orateur talentueux, il a réussi à se faire réélire en 2006, tout juste 20 ans après le massacre de 47 paysans à Accomarca lors de son premier mandat sans avoir été poursuivi, la prescription ayant joué en sa faveur.

Ce succédané de démocratie applique l’inacceptable « tolérance zéro » à l’égard de tous ceux qui sont susceptibles de freiner la manne pétrolière. Cet acharnement dans l’ouverture des marchés et dans la répression fait couler beaucoup plus de sang que de pétrole. Bien que les discriminations raciales à l’égard du peuple indigène ne soient pas nouvelles et ne soient qu’un relent du système colonial, le fait est qu’aujourd’hui, le masque de la démocratie et le silence des médias occidentaux dissimulent sournoisement une situation des plus terribles.

L’un des héritiers du Parti unifié mariateguiste, Javier Diez Canseco, explique dans un article publié dans La República du 08/06/2009 :

« Avec les dispositions législatives que le Congrès lui a déléguées pour “adapter la législation à l’Accord de libre-échange avec les États-Unis”, sans scrupules et manœuvrier, il a cru trouver l’occasion d’imposer sa vision révélée. Il a lancé une offensive contre les communautés et l’Amazonie avec des décrets législatifs (DL) sans consultation (en violant la Convention 169 de l’OIT et d’autres) et a donc provoqué la réaction des peuples d’Amazonie. »

L’Association interethnique pour le développement de l’Amazonie péruvienne (AIDESEP) dont Alberto Pizango est le leader est qualifiée sans vergogne d’ « organisation terroriste » mais nous sommes pourtant loin, très loin de la guérilla révolutionnaire du « Sentier lumineux ». Il s’agit pour eux d’empêcher le bradage et le découpage des terres d’Amazonie en attirant, de façon pacifique, les projecteurs internationaux.

Des terroristes ? Non, des manifestants, des résistants sans armes, avec pour seul défense, du courage et des cailloux face aux véhicules blindés et aux hélicoptères de l’armée.

Une démocratie ? Oui, si l’on peut qualifier ainsi, en continuant de dormir sur nos deux oreilles, un régime qui perpétue ces violations des droits humains, qui refuse de reconnaître l’identité indienne, qui dépouille les mineurs, les paysans, et les défait de leurs droits à la vie même.

Il faut continuer de parler de ces hommes à qui l’on réserve un sort de chien parce que cette déliquescence de l’idée de démocratie sous-tend la question de la métamorphose de l’autoritarisme contemporain, de voir le nouveau visage que peuvent prendre les dérives du pouvoir, d’où qu’elles viennent, où qu’elles aillent.

Tout est là. Le masque grimaçant, le silence crispée de l’Histoire qui nous pèse dessus l’échine et la rafale, presque habituelle, qui vient coucher des hommes encore un peu debout.

http://www.flickr.com/photos/rue89/sets/72157620353368234/show/

[1] Voir

[2] Voir