mardi 30 décembre 2008

Goliath met un genou à terre et la Bolivie relève la tête

Le 23 mai 2008, 12 pays d'Amérique du sud1 concrétisèrent à Brasilia (Brésil) la volonté exprimée en décembre 2004 à Cuzco (Pérou) de « construire une communauté sud-américaine des nations ». Ce projet, connu sous le nom de l'Union des nations sud-américaines (Unasur), promettait d'être aussi lente qu' ambitieuse. Cependant son premier sommet s'est réuni de toute urgence le 15 septembre 2008 en réaction aux événements tragiques de ce que la presse nationale appelle déjà le « massacre de Pando »

les 12 pays fondateurs de l'Unasur avaient pour ambition de construire une identité et une citoyenneté sud-américaine et de développer un espace régional intégré dans les domaines politiques, économique, sociale, culturel, de l'environnement et des infrastructures. Nul doute que la mise en place de cet accord multilatérale
recouvrant une superficie de 17,6 millions de Km² et comptant sur une population de plus de 380 millions d'habitants serait difficile tant en raison de l'envergure géographique et démographique2 que de la diversité des horizons politiques.
La première difficulté de l'Unasur réside dans le fait que les Etats signataires proposent des modèles de sociétes non pas seulement différents mais antagonistes ,des tenants de l'économie de marché aux défendeurs de l'alternative bolivarienne et de la révolution démocratique.

La présidence rotative de L'unasur ayant été confiée d'abord à Michelle bachelet, présidente sociale-démocrate du Chili, la déclaration de la Moneda3, issue du premier sommet extraordinaire de l'Unasur réuni le 16 septembre 2008, condamnait le massacre de 20 paysans survenus à Pando (Sud-Ouest de la Bolivie) 5 jours plus tôt.
Dans le même temps, l'Unasur ne désignait aucun coupable malgré les accusations portées par le Président bolivien Evo Morales sur le gouverneur du département de Pando, elle appelait à un retour au calme et à la mise en place d'une table des négociations:

«on appelle au dialogue pour établir les conditions qui permettent de sortir de la situation actuelle et pour rechercher ensemble une solution durable dans le cadre du respect de l'Etat de Droit et selon le cadre légal en vigueur. »4

Le département du Pando fait partie de la région appelée « demi-lune », frontalier du Brésil, il est l'un des fiefs de l'opposition au gouvernement bolivien, ce poumon économique de par la richesse de ses sols est devenu une véritable poudrière depuis le référendum d'auto-détermination de mai 2008 voté par l'oligarchie locale et déclarée illégale par Miguel Insulza, président de l'Organisation des Etats Américains (OEA).

Ces exactions ont conduit le procureur général de la Bolivie, Mario Uribe, à établir un mandat d'arrêt contre le préfet Leopoldo Fernandez, jugé responsable de la répression de ces manifestants pro-gouvernementaux.
Cristian Dominguez, une des victimes, témoigne:

« Nous avons accompagné nos camarades pour manifester de Las Piedras à Puerto Rico. Ils disent que nous étions armés mais aucun n'avait ne serait-ce qu'une serpette, nous n'avons tué personne, nous n'avons fait que tenter de nous défendre ou de fuir»5.

Selon le rapport de l'Asemblée Permanente des Droits Humains de Bolivie, pris au piège dans la ville de Porvenir par des camions remplis d'hommes armés, 21 paysans ont tenté de s'enfuir, tantôt en se réfugiant dans la montagne tantôt en se jetant dans le fleuve Tahuamanu, mais ils ont été arrêtés par les balles.

La réunion exceptionnelle de l'Unasur avait décidé d'une commission d'enquête sur ce massacre pour en désigner les responsables, celle-ci a rendu un rapport sur ce que Rodolfo Matarrollo (coordinateur de la mission) considère comme un « crime de lèse-humanité » dans lequel la responsabilité du préfet de Pando est confirmée, il demeure donc incarcéré dans une prison de la Paz. En revanche, rien a pu être établie quant à la mort de deux partisans de L. Fernandez la commission demande au gouvernement bolivien d'enquêter à ce sujet.

Mais, le sénateur Roberto Yáñez, du Parti Démocratique et Social (Podemos) se scandalise et récuse ce rapport:.
« Il s'agit d'un rapport partial, de personnes payées par le président vénézuélien, Hugo Chávez,qui vise à jeter davantage le pays dans la confusion. » a-t-il soutenu le mercredi 03 décembre dans le journal Los tiempos.
Tandis que L.Fernández, à court d'argument, parle d'un affrontement entre deux bandes rivales, le rapport établit que « Les paysans se rendaient à une Assemblée pour la revendication de leurs terres[...] leurs agresseurs ont agi de façon organisée et obéissait à des ordres précis, ils eurent l'appui de fonctionnaires et de moyens fournis par le gouvernement départemental au service d'une entreprise criminelle. », le rapport de l'Unasur confirme donc celui de L'APDHB.
Dans le cas où la présence des paramilitaires dans la région ne serait pas étrangère à ces événements, le rapport invite le gouvernement bolivien à« désarticuler toute organisation privée ou publique qui ait pour objectif la réalisation d'actes criminels » autrement dit, L' Unasur conseille au gouvernement de désarmer les armées irrégulières.ainsi que d'ouvrir une enquête sur « les exécutions sommaires de femmes et d'enfants », « les enterrements clandestins » qui furent dénoncés par de nombreux habitants de Pando.

L'opposition semble faire feu de tout bois pour détourner l'attention des accusations qui portent sur ses représentants, elle attend ou provoque la moindre occasion de déstabiliser le pouvoir légitime en place. Ainsi, lorsque le Général López, l'ex-président de la douane nationale, accuse le préfet intérimaire de Pando, Rafael Bandeiras Arce et le ministre de la présidence, Juan Ramón Quintana d'être impliqués dans des affaires de contrebandes ( notamment dans le passage illégale de 33 camions en juillet 2007.6.), cette accusation semble venir à point nommé.
Cependant si cette accusation servait une stratégie politico-médiatique, il s'agirait d'un joli faux pas de la part de l'opposition. En agitant ainsi de façon désespérée l'épouvantail d'un pouvoir corrompu, elle ne servirait que son discrédit face à l'opinion publique internationale dans le sens où il n'est ici, en aucune façon, question de vies humaines.

En tout état de cause, ces événements ont permis à l'Unasur de faire montre de sa capacité à dépasser les divergences politiques des pays signataire, du conservatisme du président colombien Alvaro uribe au bolivarisme du président vénézuelien Hugo Chávez, le présiden brésilien Lula da Silva a servi de modérateur et le soutien au gouvernement légitime bolivien a été unanime. Un de ses objectifs semble avoir été atteint, car en se passant de l'arbitrage de l'OEA et de l'ingérence de Washington qui a prévalu jusqu'alors, l'Unasur ouvre la voie à la construction d'un monde multipolaire et permet, sinon l'intégration, au moins l'union latino-américaine au sens où l'entendait le « libérateur » Simon Bolivar.

La volonté d''indépendance retrouve vraisemblablement, presque deux siècles plus tard, un souffle nouveau. La nouvelle Constitution Politique de l'Etat (CPE) constitue le fer de lance de la politique d'Evo Morales et le point de mire des partis d'opposition. Il apparaît, aux yeux de nombreux boliviens, comme une voie fiable pour sortir de la « néo-dépendance » face à l'oligarchie et aux transnationales. Reste à savoir si les 9 à 10 millions de boliviens qui iront voter, le 25 janvier 2009, lors du référendum constitutionnel, confirmeront ou pas leur soutien à la politique engagée dans leur pays. L'opposition tente d'en retarder l'échéance par tous les moyens, y compris les plus condamnables, mais sans doute est-ce sans compter sur le rôle majeur que l'Unasur joue, aujourd'hui, dans l'arbitrage des conflits internes, devenant l'un des piliers d'une nouvelle unité latino-américaine.

Notes:

1/ Brésil,Venezuela,Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie, Paraguay, Uruguay,Argentine, Chili, Guyana, Surinam.

2/ Palais de la Moneda: lieu symbolique en commémoration des événements tragiques survenus 35 ans plus tôt lors du coup d'état de A.Pinochet.
3/ Déclaration de la Moneda, Santiago (chili),15 septembre 2008.
4/ Propos reccueillis par l'Assemblée Permanente des Droits Humains de Bolivie (APDHB) le 15 septembre 2008.
5/ La Razón, Vendredi 05 décembre 2007

lundi 1 décembre 2008

Mexique: Une même lutte pour le droit à l'éducation par delà l'océan




L'accès à l'éducation est un droit à à défendre à tout prix, partent de ce postulat tous ceux qui voient clair dans les assauts permanents des politiques néo-libérales, tous ceux qui se battent contre une marchandisation des savoirs et contre un nivellement par le bas du niveau des élèves.
L'Ecole ne peut ni ne doit participer de ces grandes pelletées dans le fossé entre riches et pauvres. Il semble que non seulement cette idée soit la clé de voûte des mouvements prenant de l'ampleur en Italie, en France, mais qu'en plus elle soit largement partagée à "l'autre bout du monde"... au Mexique.

En mai 2008, le gouvernement du président mexicain Felipe Calderón (considéré par de nombreux mexicains comme illégitime depuis une victoire du Parti d'Action Nationale très contestée) lançait un grand plan de réforme du système éducatif mexicain dont on imagine bien la teneur. l'Alliance pour la Qualité de l'Education (ACE) résulte d'un accord passé entre le gouvernement et celle qui lui sert de fusible depuis la naissance du mouvement, Elba Esteger Gordillo, patronne du syndicat des enseignants que certains surnomment “la Maestra”. Elle apparaît depuis trois mois, aux yeux des acteurs directs et indirects du système éducatif, comme l'incarnation de la trahison de la base du SNTE ( Sindicato Nacional de Trabajadores de la Educacion) et par extension du peuple mexicain.

Un plan d'action nationale contre la ACE a été mis en place mis en place dans 18 États du Mexique rassemblant enseignants, parents d'élèves et étudiants qui, conscients des défaillances du système, ne sont pour autant pas dupes de ce que le gouvernement propose en échange.

Au delà de l'objectif officiel de l'ACE, qui est d'en finir avec le caractère "héréditaire" du recrutement des enseignants, d'opter pour la toute nouvelle sacro-sainte « transparence » se cache en filigrane la privatisation du système éducatif et l'augmentation des inégalités.
Les opposants à cette réforme ont à se battre contre tout un appareil gouvernemental armé d'un pseudo-dialogue social avec la dirigeante de la SNTE, de policiers anti-émeutes et même de tanks de l'armée envoyés, par exemple, à Cuernavaca il y a quelques semaines de cela. Les enseignants se voient poursuivis, selon l'article 145 du Code Pénal fédéral, du délit de "disolución social", cet article permet d'envoyer l'armée et de museler toute contestation sociale par la force, il a notamment fait beaucoup parlé de lui lors des "guerres sales" livrées sous la présidences de Gustavo Diaz Ortaz (1964-1970) et de Luis Echeverria (1970-1976), L'article 145 est aujourd'hui remis au goût du jour par Felipe Calderón.

Le 10 novembre dernier, dans l'Etat de Guerrero, près de 25000 enseignants ont investi les rues et bloqué les voies d'accès à la ville de Chipalcingo au sud de Mexico, une contestation massive qui prit naissance dans l'Etat de Morelos dès la rentrée 2008:
L'avocat de l'Assemblée des représentants des enseignants, Jorge Viveros, déclarait le 24 octobre 2008 lors d'une table ronde présidée par le philosophe Orozco Garibay:

« Le gouvernement du Président Calderon prétend imposer un modèle selon lequel l'enseignant serait rétribué à hauteur de 60% de son salaire en fonction de la réussite des élèves aux examens. Il s'agit d'évaluations standardisées qui ne tiennent compte ni de la situation multiculturelle des différentes régions du Mexique, de la problématique sociale des élèves, ni de l'avis du professeur. Il y a tout simplement du mépris pour le droit salarial et celui des travailleurs. »

De même, il dénonce la précarisation de l'enseignement, en effet dans l'état de Morelos comme dans l'ensemble du pays, il existe des enseignants qui malgré 15 années d'ancienneté ne disposent pas d'un contrat solide et peuvent être licenciés sans aucune indemnité. l'ex secrétaire à l'Education Publique, Lorenzo Gómez Morín, a calculé que la moitié des postes attribués dans le cadre de l'Alliance ne l'ont pas été par voie de concours.

María de la Luz Arriaga, spécialiste de la politique éducative et enseignante, constate dans le journal El Proceso une détérioration toujours plus grande de la qualité de l'enseignement , encore accentuée par la ACE:

"L'Alliance prétend en finir avec la formation de la pensée critique, évincer toute velléité de réflexion. On cherche à contrôler et à créer des personnes dociles au service des entreprises transnationales. L'éducation ne consiste pas seulement à mémoriser mais aussi et surtout à acquérir une capacité à la vie-même."

La seule réponse du gouvernement au mouvement, c'est la répression armée, des incarcérations arbitraires, de nombreux citoyens (enseignants mais aussi parents d'élèves et étudiants) ont été blessées lors des rassemblements et actions qui ont eu lieu dans plusieurs régions (Morelos, Quintana Roo, Guerrero, Veracruz, Puebla, Hidalgo, Coahuila et Basse Californie) dans l'indifférence éhontée des médias européens. Ces événements ravivent le goût amer de la sanglante répression contre les étudiants sur la Place de Tlatelolco en 1968, merveilleusement racontée par Paco Ignacio Taibo II dans son livre 68.




Si, selon l'adage, comparaison n'est pas raison, il n'en est pas moins vrai qu'il faudrait considérer la diminution du nombre de postes dans l'Education Nationale, la fin des concours nationaux et la privatisation du système éducatif comme autant d'éléments symptomatiques d'une crise de la démocratie, en Europe, au Mexique, comme en n'importe quelle autre région du monde. En effet, les politiques néo-libérales, se fondant en partie sur la diminution des dépenses sociales, ébranlent les démocraties dans leurs fondements même. Elles arrachent à l'école toute valeur républicaine, elles tendent à rendre impossible la formation de l'esprit critique des élèves et partant, de leur force citoyenne.


Il est difficilement contestable que l'Alliance s'inscrit en droite ligne du socle commun votée par l'OCDE, lorsque l'on sait que l'ACE reçut, en mai dernier, le soutien du secrétaire général de l'OCDE, José Angel Gurría, l'ACE fut également soutenue par Robert Zoellick, l'actuel directeur de la Banque Mondiale. Le sarcasme de ceux qui, faute d'arguments, parleront de « conspirationnisme, » sera mouché par l'évident constat d'une politique globale.


Si nous nous tenons pour dit que le hasard fait bien les choses, on peut douter du caractère fortuit de cette casse globalisée, de cette mise à bas d'un système éducatif, certes discutable et qu'il convient de réformer, mais que sous-couvert de réforme on dépouille, ici comme ailleurs, de ses effets les plus égalitaires. Combien d'hommes et de femmes devront encore lutter pour que leurs enfants ne deviennent pas de la "chaire à finance", avant que les autres ne sortent enfin de leur aveuglement ou de leur résignation?

Sources
http://blogotitlan.com
www.proceso.com.mx/ - 12k -Ezequiel Flores Contreras, Article publié dans El Proceso, 11 novembre 2008.
Manuel Fuentes Muñez,Article publié dans El Proceso, 04 novembre 2008.
TAIBO II Paco Ignacio; 68, Paris, L'Echappée, 2008, 124 p.