Comment ne pas voir, sinon les yeux gonflés de larmes, la fièvre au front et la peau brûlante que tout est fait pour nous atrophier l’intellect, pour nous enraciner dans nos peurs.
Comment ne pas voir que cette mécanique bien huilée et rompue aux scandales tente à chaque instant de nous perforer l’existence, de fraiser le bois tendre de nos chères têtes blondes. Nous voilà bringuebalés de tous côtés dans cette usine à machination qu’on nous propose en guise de société. Lorsque tout va pour le pire et que l’on nous abreuve de désolantes consolations, le cul nous passe littérairement par dessus la tête et d’un coup, d’un seul, voici que nous blasphémons à l’endroit d’un monde à l’envers.
Nom de Zeus, ce que l’esprit des lumières nous semble renvoyé aux calendes grecques, lorsque l’on entend nos dirigeants parler. Cette dilapidation du sens qui assassinent jusqu’à nos plus belles idées. On nous parle d’humanisme comme on nous parle de liberté et de démocratie. Du capitalisme à visage humain aux bombes humanitaires, de la discrimination positive européenne à la sécurité démocratique colombienne, nous sommes calibrés à l’envi par cette malversation intellectuelle, par ceux que Dostoïevski « les grands faussaires de la pensée », qui veulent nous dépouiller de fond en comble et nous mettre sens dessus dessous..
Gardons-nous que c’en soit bien fini du signifiant et du signifié de ce bon Saussure car si cette putréfaction de la langue perdurait, elle finirait par ronger toute velléité de résistance.
Cette cacophonie ambiante et cette avalanche de mot-pot de fleurs nous plonge dans un non-sens qui n’a ni la noblesse ni la poésie de l’Absurde, elle veut faire de nous les cimetières de feu nos idées.
Cependant gardons cet espoir que caresse Eric hazan dans son livre LQR :
« La novlangue partage les faiblesses du néo-libéralisme qui luia donné naissance, règnant sans contre-poids, tenue à ne pas apparaître sous sa vraie nature, diffusée par ceux qu’elle contribue à abrutir, elle ne peut que retomber sans fin dans ses propres plis ».
Cela leur ferait trop plaisir que nous nous rongions les moelles, que nous nous enterrions vivant avec une surdose d’hygiènisme, plutôt que de mourir malade ils voudraient comme disait Choron que l’on « crève en bonne santé ».
Aujourd’hui, ils viennent nous enfumer à grands coups de «grippe porcine », tiens des guillemets ! Que viennent-ils faire là ? Sans doute la suspension, l’espace confortable nécessaire à la peur pour se vautrer dans nos vacances métaphysiques.
Comment ne pas nous demander, tandis que l’on nous martèle d’images apocalyptiques, si tout cela ne serait pas une magistrale mascarade. N’est-ce pas le moment psychologique ? Quoi de mieux qu’un bon gros virus et l’annonce d’un « risque probable de pandémie » (c’est d’ailleurs ce qu’on appelle ne pas trop se mouiller tout en poussant les autres à l ‘eau), pour enrayer un mouvement social ?
Qu’il s’agisse d’un virus, d’une guerre anti-terroriste, tout est bon ! le fer de lance de cet assaut est de nous contraindre à la résignation et au sentiment d’impuissance, de nous mettre à genoux devant l’autel d’un Etat-mythe qui assurerait notre survie en cas de banqueroute ou de pandémie.
Les messages d’alerte, la stratification du danger ajoute encore de la force à l’ogre médiatique qui gave et se repaît de nos névroses.
Après la pseudo politique du cas par cas sur la question de l’immigration, voilà que les individus touchés par cette grippe se trouvent ravalés au rang de « cas ». Voilà bien encore un mot vide que les médias se plaisent à employer pour parler d’un être humain. Ce monosyllabe, sordide, atone et dépersonnalisant on pousse à son paroxysme le principe d’individuation qui a pourri tout le XXème siècle, on le dépasse même car on y introduit une bonne dose de pathologie mortelle.
Cette vieille peur de l’autre que nourrit la psychose nous plonge dans une de ces fictions que nous affectionnions marmots, ces livres-prisons dont nous étions les héros. En effet, tout est dit et fait pour nous donner l’impression que notre marge de manœuvre est grande, que nous pouvons voyager d’un bout à l’autre de la planète… si nous en avons les moyens, que nous pouvons dire ouvertement ce que que l’on pense… tant que personne ne peut l’entendre (Regardons ce qui se passe dans les universités !)
Libres, également, car nous pouvons choisir la stratégie de l’autruche hypocondriaque mais là encore, si nous décidons de nous replier sur nous-même, ne risquons-nous pas l’autarcie intelectuelle, ne risquons-nous pas de nous faire voler dans les plumes tandis que nous restons le bec planté dans la croûte terrestre.
Céder à la psychose, sortir les panoplies de fins du monde, limiter les déplacements, éviter les rassemblements, craindre la promiscuité du métro, autant de recommandations faites par nos chers décideurs pour nous confiner dans cette quarantaine intelectuelle et cette peur de l’autre qui leur fait la part bien trop belle.
Ne nous jetons pas dans le feu pour éviter la fumée! Ne nous laissons pas endormir!