samedi 26 juillet 2008

Dostoievski l'incontournable!

Il en est de la lecture comme d'un divan, on la voudrait confortable voire réconfortante, telle une réminiscence de ce que l'enfance comporte de plus tendre. L'Homme entré dans l'âge obscure que l'on qualifie (pour se rassurer)d'"adulte" a toujours, souvent malgré lui, quelque faille de son être où le merveilleux pénètre subrepticement, quelque aspérité de son existence où le sentiment vital de l'enfant qui s'ennuie se vautre jusqu'à l'abandon.

Le plaisir du lecteur, ce n'est rien d'autre que l'Homme et l'enfant réconciliés, et cet armistice n'est rendu possible que par identification et empathie avec les personnages, héros ou antihéros, avec nous même en somme.

Cette relation charnelle avec le corps du texte, cette façon que l'on a de caresser des pages inconnues comme pour en révéler le mystère, cette soif d'absolu qui nous gagne lorsque l'on reprend le fil de la lecture, en dit long sur la nécessaire correspondance d'une solitude à l'autre au delà des siècles, relève bel et bien du plaisir...

Il existe donc un érotisme littéraire très bien sentie par R.Barthes en ceci que le plaisir ne mène à la jouissance qu'à la condition sine qua none d'une mise en danger:

"celui qui met en état de perte, celui qui déconforte (peut-être jusqu'à un certain ennui), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs, et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage." (Plaisir du texte, 1973.)

On ne peut bien comprendre cette idée que si, par bonheur, le désir nous prend de nous attaquer (et j'emploie ce mot à dessein) à un auteur tel que Dostoievski et nous plonger dans les affres de la pensée russe du milieu du XIXème siècle, alors... alors... loin de l'hiver sibérien auquel on s'attend, loin de cette dimension religieuse qui a concentré l'essentiel des exégèses sur "Crime et Châtiment"
L'écriture passionnée, épileptique nous plonge dans une fièvre cérébrale pour le moins inattendue, une intensité permettant de surpasser ce déferlement de noms russes qui perd le lecteur et l'oblige presque à l'amnésie jusqu'à la perte de lui-même.

De l''étudiant pauvre de "Crime et Châtiment" qui, sous l’influence de théories mal digérées, décide de tuer une horrible vieille usurière, qui n’est utile à personne. Dans ce roman à la structure policière décrivant un crime parfait, Pas de suspense extérieur : une pénétration psychologique de Raskolnikov qui ne cherche pas, comme on l'entend trop souvent dire, le repentir, par ce qu'il n'y a précisément pas d'absolution possible selon F.Doestievski, pas de rachat de l'âme mais une victoire de la conscience devant l'étendu de ses responsabilités... idée qui impressionna Nietzsche à la lecture du roman!

Au prince Mychkine, "L'idiot", en proie dans sa jeunesse à des vertiges étranges après un amour malheureux, dont on se rend compte assez vite qu'il est d'une intelligence supérieure, celui-là est seul face à tous. Il bouleverse les conventions sociales sans le vouloir. Il est le héros tragique de la société moderne dans une perspective hegelienne. Il est la fragilité même. C’est de cette fragilité qu’il tire sa force, ses pouvoirs. Il fascine tous les autres (Aglaia, le Général Rogogine et surtout... la Nastassia filipovna et son insondable mystère). Perdu dans cet déstructuration du temps, dans l'épaisseur existentielle de tous les personnages sans exception, le lecteur ne se retrouve pas à proprement parler dans ce personnage mais s'y abandonne et s'y perd tout à fait.

Ce personnage qui focalise l'attention car on le croit malade est sauvé par son talent d'écriture découvert par le général Epantchine. il connaît les écritures anciennes et son intérêt pour le poème de pouchkine "le chevalier pauvre" mis en relation avec l'évocation du Quichotte n'est pas anodin. Beaucoup a été dit sur ce personnage notamment qu'il est une figure christique, or il n'a pas de message à délivrer, il est plutôt, à l'image de son créateur, un point d'interrogation sur la foi et sur lui-même. Son insatiable besoin de vie qui le soulage du poids de l'existence, qui lui gonfle la poitrine lorsque les rouages de la société hiérarchisée et repliée sur elle-même lui deviennent insoutenables. On remarquera que même au beau milieu de ces crises de "sueur froide" de ces "ténèbres glaciales de l'âme", son visage mortifié esquisse toujours un léger sourire de contentement.
Sa force réside précisément dans son mystère que les autres prennent pour une maladie... dans ce plongeon vertigineux qui le fascine et terrorise ceux qui l'entourent.

L'idiot résume à lui seul toute la puissante écriture de Dostoievski et la profondeur du portrait qu'il fait de l'âme russe dans son oeuvre: une âme chargée de religiosité et de scepticisme (le dialogue entre un croyant et un sceptique apparaît souvent dans ses oeuvres). Ce questionnement glacial et métaphysique n'épargne rien, ni son âme "malade"... ni la nôtre, il nous laisse comme mortifié à notre tour.

On perd pied face à l'immensité du talent, cette violence que le personnage dostoievskien génère contre lui même et qui nous arrive en plein flanc, ce n'est définitivement pas fait pour réconforter mais, bien au contraire, pour nous mettre en guerre, une guerre sensuelle ("Il n'est de pire peine que d'être en paix pour des amants..." disait le grand Jacques), cet univers nous arrache au divan, nous met en arme et nous porte jusqu'à cette fascinante victoire qu'est la jouissance.

mercredi 16 juillet 2008

Colombie: Après le tsunami médiatique...la lame de fond?

A ceux qui se sont naïvement gargarisés de la victoire de l'armée colombienne et comme par écho du gouvernement Uribe, criant à la victoire de la démocratie, glorifiant à l'instar de Mme Bétancourt Dieu, l'armée et Sarkozy... En réaction presque épidermique à ce déferlement médiatique ad nauseam de bons sentiments, à cette manipulation unanimiste et personnalisée de "l'info", il serait peut-être bienvenue de parler de la nature et des méthodes employées pour asphyxier toute les velléités de résistances dans ce régime autoritaire militarisé et les conséquences d'un gouvernement qui a demissionné depuis longtemps déjà...

En ce qui concerne le droit des travailleurs:

Certaines entreprises nationales et multinationales semblent s’être dotées d’un plan systématique pour détruire les organisations syndicales. C’est notamment le cas de la multinationale espagnole Union Fenosa et de sa filiale colombienne Electricaribe, que le syndicat des travailleurs de l’électricité de la Colombie (SINTRAELECOL) accuse de recourir à une stratégie basée sur le harcèlement, la persécution et des actions répressives et illégales contre les travailleuses et les travailleurs pour annihiler l’organisation syndicale.

Elles auraient notamment recours à des procédures fallacieuses pour licencier des employés conformément aux quotas de réduction mensuels des effectifs imposés par la direction générale en Espagne, réduisant, par là-même, le pourcentage de personnel couvert par la convention collective et affilié à SINTRAELECOL.
Deux travailleurs qui avaient eu l'"impertinence" de se syndiquer se sont fait descendre le 25 juin dernier, ce qui élève le nombre de syndicalistes tués depuis le début de l'année à 28 hommes, voilà la politique répressive d'un régime dit "démocratique" que certains ne cessent, depuis quelques temps, de porter aux nues.
Cependant, on ne saurait comprendre la situation critique de l'Amérique Latine et l'importance de toutes les revendications sociales, économiques et identitaires sans évoquer le rôle déterminant de Washington et de sa volonté expansionniste.

C'est l'ensemble des droits fondamentaux des travailleurs qui se voient foulés aux pieds par les investisseurs étrangers et par le droit d'ingérence que se sont octroyé les Etats-Unis depuis près de deux siècles. Washington a plus que jamais dans l'idée que l'Amérique latine tombera inéluctablement dans leur piège impérialiste. L'ensemble des dispositions quasi messianiques telles que la garantie de la sécurité, la stabilité politique et économique n'a fait qu'accentuer les situations de crise à l'aune de mesures qui, dès le XIXème siècle, visaient à installer l'hégémonie des Etats-Unis: La Doctrine Monroe (1823) et le morbide manifest destiny(1840'-1850').

Qu'en est-il du sort des peuples indigènes en Amérique latine?

Les Koguis en Colombie, les Mapuches Du Chili, les indiens du Chiapas...?

Des situations différentes à bien des égards (dû à la singularité de ces pays latino-américains, à leurs spécificités historiques et politique) mais tragiquement similaires en ce qu'elles relèvent de la négation pure et simple de l'Humain et de ses droits universels.
Ces peuples sont littéralement pris à la gorge par ceux dont ils rejettent moins le mode de vie que l'ignorance et la barbarie dont ils font preuve. Ils sont traqués, arrachés à leurs terres, leur culture est méprisée par ceux qu'ils appellent de façon significative leurs "petits frères", contraints de se réfugier dans les montagnes, ils ne peuvent cultiver que des terres pauvres. Cinq années sont nécéssaires pour enrichir la terre mais sitôt que l'endroit où ils se sont installé devient "vivable" leurs cultures sont brûlées par les pesticides envoyés dans le cadre du plan Columbia, comme le disent les Koguis de la Sierra Nevada "nous sortir de notre environnement c'est nous mettre en prison".

Voilà en substance, la violation des droits Humains, du droit des travailleurs les plus fondamentaux dénoncée par les plus hautes instances du TPP (Tribunal Populaire des Peuples) qui se perpétuent loin, très loin des JT européens.


NB: Des leaders syndicaux du Canada représentant un million de travailleurs se rendront en Colombie fin juillet pour évaluer la situation des droits de la personne, affaire à suivre...

Sources:
L'Etat militaire en Amérique Latine, éditions du Seuil, (1982).
Le monde diplomatique, juillet 2008.
risal.collectifs.net/ - 51k -

jeudi 3 juillet 2008

Colombie: petit état des lieux



Les FARC sont loin d'être des enfants de coeur, et loin de moi l'idée d'en faire l'apologie ceci dit, avant d'avancer des termes par trop réducteurs "( des assassins, des terroristes, des voyous.. )", il conviendrait de préciser que la situation en Colombie est beaucoup plus complexe que cela, et ce, depuis le début du XXème siècle.
Comme dans d'autres Etats-militaires en Amérique Latine, l'armée colombienne est née sous l'égide des différents partis conservateurs des trente premières années du siècle dernier.
C'est depuis 1948, lors du coup d'Etat que l'on appelle le "Bogotazo" et l'assassinat du libéral populiste Gaitán, que l'armée régulière a pu participer directement au pouvoir étatique et gouvernemental, provoquant une répression sans précedent.

Uribe représente le pendant contemporain, autoritaire et démocratique du dictateur militaire Augusto Pinochet qui a dirigé le Chili durant la guerre froide. Tout au long des années 70 et 80, une part significative de la population chilienne a soutenu les politiques autoritaires de Pinochet qui ont accordé la priorité à la sécurité et à la croissance économique au détriment de la défense des droits de l’Homme. Alors que Pinochet excellait dans l’art de faire « disparaître » ses opposants, le nombre de Colombiens « disparus » durant le premier mandat d’Uribe (2002-2006) excède le nombre total de Chiliens disparus durant les dix-sept ans de dictature militaire... à cela il faut rajouter les 3 millions de personnes "déplacées"!

En outre, le terrorisme d'Etat en Colombie ressemble à s'y méprendre à celui de Pinochet, il a été largement documenté par Amnesty, Human Rights Watch et de nombreux autres groupes: Dans une étude de 31.656 cas d’assassinats et disparitions entre 1996 et 2006, la Commission Colombienne de Juristes a découvert que 46 pour cent des meurtres avaient été commis par les escadrons de la mort et autres AUC et 14 pour cent par les FARC. Les paramilitaires étaient responsables de plus de 3 millions de personnes déplacées dans le pays. Cette misère est le résultat de la soi-disant « guerre contre la drogue » du Plan Colombie, dont le véritable objectif est l’élimination des FARC, étrangement semblable au fameux plan Condor de Pinochet des Etats-Unis.

A ceux qui rétorqueraient que Uribe a été réelu en 2006 par plus de 60% des colombiens...
-En Colombie, le taux de participation dépasse très rarement 45%, cela est loin de représenter l'ensemble du peuple colombien, et ça, sans compter les pressions des para-militaires régularisés par la para-politique d'Uribe!

A ceux qui avanceraient que le coup d'Etat et le régime dictatorial de Pinochet ne peut être comparer au régime démocratique de Uribe...

N'oublions pas qu'en 1980, Pinochet est devenu président de la république dans le cadre d'un régime constitutionnel!


Enfin a tous ces gens qui ont tôt fait d'adopter les offuscations et les scandales de la déesse aux cent bouches muselées...

Je demanderais:
-Avons-nous entendu des gens s'offusquer de la réforme constitutionnelle sur le renouvellement du mandat présidentiel par Uribe?
-Disposons-nous d'autres informations que celles transmises par le gouvernement colombien sur les circonstances de la libération?
- savez-vous qu'une rencontre était prévue entre R.Reyes et un représentant de l'ONU?
-Comment les fameux ordinateurs remis par le gouvernement colombien à interpol aurait-ils pu résister au bombardement qui a tué Reyes?


M. Uribe devait de toute urgence dévier l’attention internationale du scandale de la « parapolitique » dans lequel il est chaque jour davantage empêtré. Ce scandale met en cause depuis 2007 les criminelles alliances de la classe politique avec la mafia des narco-paramilitaires, qui bénéficient d’un processus de démobilisation déjà très controversé (amnistie pour leurs atrocités au nom d'une politique mafieuse ironiquement appellé "justicia y paz") et critiqué par les organismes de défense des droits humains.

Ce que l'on nous présente aujourd'hui comme une victoire de la démocratie est une victoire de la liberté, certe, mais il ne faut pas oublier la manipulation politique qui apparaît en filigrane. En mai dernier a eu lieu un nettoyage de printemps: l’extradition des quinze chefs « paras » les plus importants aux Etats-Unis et ceux-là se sont mis a parlé des liens étroits qui unissent le gouvernement Uribe et les narco-trafiquants, de même les exactions les plus meurtrières sont celles des Para-militaires qui ne laissent comme choix aux paysans colombiens (vous savez, ceux que l'on entend jamais ou que l'on entendra plus!) qu'entre l'expropriation et la mort...

Alors pensons à ceux qui sont encore dans la jungle mais n'oublions pas les milliers de prisonniers politiques (syndicalistes, intelectuels...), de fait Uribe a toujours considéré que l'une des méthodes de recrutement de l'ELN était les branches syndicales et étudiantes et cela lui suffit pour expliquer les assassinats de quelques uns parmi les 470 "disparitions" depuis 2002, ceux-là même qui croupissent dans les geôles d'un régime dangereusement proche de celui de Pinochet, utilisant d'autres armes tout aussi efficaces et qui aujourd'hui est applaudi par l'opinion internationale!!!

Laissons la parole aux paysans colombiens qui parlent d'une autre forme de terrorisme:

ps: Un saludo a las luchas del pueblo Mapuche