Les mythologies de R. Barthes auraient pu bien vite me tomber des mains tant ce technicien littéraire me faisait peur, en effet, certaines analyses comportent ce qu'on appelle en traductologie des "résistances", un lexique jargonneux, des références savantes et parfois extrêmement allusives, autant d'obstacles à surmonter pour un lecteur lambda peu coutumier de la langue de l'essayiste.
On se transforme peu à peu en une sorte d'explorateur de cette écriture hiéroglyphique, on rencontre les mêmes difficultés qu'un Champolion mais aussi les mêmes plaisirs... car le regard tantôt panoramique tantôt kaléidoscopique que Barthes pose sur la société occidentale du milieu du siècle dernier arrache les pensées de leur au-delà mythique et les enracine dans un quotidien prosaïque très signifiant.
Il décortique avec talent et un sens de la précision inouï les mythes fondateurs de la société "petite-bourgeoise" et montre combien il est important de revenir à une pensée fertile qui ne se contente pas des "pâquerettes".
L'auteur déverse un fiel intelligent sur une pensée subie et conchie le supposé "bon sens" français, celui des "petites gens" (dixit Poujade ou Raffarin), mais aussi celui des intellectuels et des critiques. Il existe, écrit-il, une "critique muette et aveugle" qui ne comprend rien à l’existentialisme ou au marxisme, et s’en vante au nom de ce bon sens pour lequel les idées trop complexes seraient inaccessibles au commun des mortels.
"Le vrai visage de ces professions saisonnières d’inculture, écrit Barthes, c’est ce vieux mythe obscurantiste selon lequel l’idée est nocive, si elle n’est contrôlée par le "bon sens" et le "sentiment".
Certains de ces textes sont inoubliables, comme « Le monde où l’on catche », témoignant, par-delà la critique, de la fascination de Barthes pour la culture populaire, ou « L’écrivain en vacances », indice de la curiosité que l’homme de lettres n’a pas encore cessé de susciter dans les mentalités françaises.
de l’abbé Pierre aux magazines (Paris-Match, Elle, etc.), du Tour de France à "l’usager de la grève"(objet de scandale pour le petit-bourgeois), on retrouve chacun de ces "mythes" dans la France d’aujourd’hui, aussi vigoureux qu’il y a cinquante ans.
Barthes a saisi, a révélé (au sens photographique du mot qu’il aimait bien) les forces négatives qui travaillaient son pays à travers quelques "clichés", ces forces ont forgé le creuset d'une pensée constipée qui stigmatise nos sociétés de façon paroxysmique, la lecture de ces articles nécessite quelques clés mais si l'on a envie d'ouvrir les portes que Barthes nous présente...on aura une lumière nouvelle sur les tares de notre société et l'on pourra tenter de construire une pensée digne de ce nom et les moyens de son action.
La pierre de touche des Mythologies de Barthes est que La pensée "petite-bourgeoise" s'exprime partout où il y a un nivellement par le bas ou le niveau d'exigence s'approche du degré zéro, on pense inévitablement au sort de l'école aujourd'hui et au refus de donner des clés (pourtant fondamentales) aux gamins, le pire c'est que ces mythes pénetrent jusqu'au discours de certains esprits de gauche sans même qu'ils s'en aperçoivent!
La simplification à l'extrême de la pensée s'incarne dans les tautologies qui polluent la réflexion et qui littéralement finissent par l'anéantir, en effet, pour Barthes qui base sa réflexion sur la sémiologie de Saussure et la sociologie marxiste, le mythe est une « Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu ou d’un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation ».
Pour ne donner que deux exemples de la façon dont le mythe est véhiculé, Barthes joue sur son terrain, il analyse quelques figures rhétoriques pour le moins... éloquentes:
La vaccine - « On immunise l’imaginaire collectif par une petite inoculation du mal reconnu »: voir le pseudo- mea culpa médiatique de NS: "j'ai ma part de responsabilité"
La privation d’histoire - « Le mythe prive l’objet dont il parle de toute Histoire »: voir l'horrible discours de Dakar sur les peuples "a-historiques"
La tautologie est alors l'incarnation linguistique du mythe :
« on se réfugie dans la tautologie comme dans la peur, ou la colère, ou la tristesse, quand on est à court d’explication »: voir le discours de Latran en décembre 2007 sur la "laicité positive", ou encore l'histoire des caisses vides par exemple...
2 commentaires:
Il y a un lien entre les mythes de la pensée petit--bourgeoise et le rythme épistolaire du blogueur français succombant sous le poids de ses insupportables congés.
Zoro trace un pamphlet et se retire pour méditer pendant ...
Et on se réveille quand, en France, pour faire la révolution ?
je sens bien dans ton commentaire comme une critique mais je ne comprends pas bien ce qu'elle vise exactement tu pourrais m'éclairer?
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