lundi 17 décembre 2007

Dans la nuit

L'autre, celui qui passe au loin et dont on se sent si proche, lui, là-bas, oui, il s'est enfui comme ne plus jamais entendre parler d'ailleurs. Il a pris sous le bras toute sa solitude, comme une présence fantasmée, comme cet ami d'enfance qu'il s'était inventé. Il croyait n'avoir jamais bien su comment devenir celui qu'on aime, mais soudainement, il prit corps tout à coup dans un de ces rêves vagabonds qu'évoquent les poètes, le "duende" venait de l'investir pour ne le plus lâcher.
Un songe sans bagages, un voyage intérieur dont on ne revient jamais tout à fait avait eu raison de tout ce qui relève de l'intelligible en lui.
Un peu abasourdi, un peu perdu aussi, il revint peu ou prou à sa réalité, se sentant glisser de l'agréable volupté à la grossière brutalité d'une lame mal aiguisée, il avait revêtu son plus bel apparat, un cuir digne de la plus belle chevalerie, ce quelque chose à soi dont on ne se sépare pas, un cuir plus vieilli que sa peau. Un épais blouson gris-noir qui l'avait accompagné dans ses nuits sans sommeils, dans d'invraisemblables errances où, avec délectation, il se laissait aller.
Il traînait sa maigre ossature dans toutes las veines de Paris, déambulant, l'âme légère,le coeur lourd, si lourd...trébuchant sur chacun de ses sentiments, si d'aventure il s'arrêtait c'est à coup sûr qu'il tomberait.
Il pleuvait cette nuit-là, et le pavé glissant et les trottoirs déserts et le grand réverbère qui n'éclairait que lui, étaient autant d'ennemis violant son intimité, il recouvrit la vue en relevant sa casquette et la lueur moribonde de la vieille lanterne acheva de le ramener à cette nuit pavée.
L'homme était là, las de tout, l'air du rien, tout au plus fronçait-il les sourcils à chacune des lourdes gouttes bien mûries qui coulait sur son cou, de ces gouttes gigantesques qui vous écrasent un homme et le glacent tout entier. Un cou tout nu qu'aucune écharpe n'avait jamais couvert, la main baguée, le poing serré depuis trop longtemps avait fini par serrer tout son corps. Il ne sentait plus ces bagues lui cercler les doigts, elles étaient le souvenir de cette époque-là où il n'était pas seul, oui, ce loup des steppes avait été voyou avant même d'être un homme, il avait été un dur dans sa jeunesse qui n'avait rien eu de tendre et l'était peut-être encore dans l'or de ses dents.
Mais désormais, il était sûr de ne plus faire de sort aux trésors des autres, comme il était sûr de ne plus jamais voir ses potes depuis longtemps tombés, étalés sur l'asphalte d'un boulevard du quartier, dans la mare rouge d'un braquage manqué.
Il conservait de cet avant un souvenir troublant, en effet, la chevelure sauvage d'un apache sous la pluie a tout d'un feu humide que l'on ne ravive pas, un frisson tout à coup le parcourut tout entier lorsqu'il aperçut dans la nuit, cette vitrine de toiletteuse pour chien, elle avait remplacé la banque...le sanctuaire de ceux qui étaient ses copains. Il se souvint alors de cette lumière bleu-mort qu'il avait aperçu dans l'urgence du moment, avant de courir se cacher derrière un pan de mur. Il s'était réfugié, le souffle coupé par le fil ténu qui le retenait encore à cet en droit précis, il espérait encore ne pas demeurer seul sans ses copains, avec qui allait-il pleurer maintenant? A quoi rimait encore de ne pas se finir et retrouver peut-être toute sa bande au bistrot?
L'homme, dedans sa cuirasse, flanqué d'un vieux jean détrempé, revit encore la scène ultime, où Paulo et Momo et Jojo la fringale, ont vu leur plus beau coup être le coup fatale. Il se mit alors à courir jusqu'à n'en plus pouvoir comme il l'avait déjà fait cette nuit-là, jusqu'à perdre haleine et sa haine et sa rage, comme une flèche d'indien aurait balafré la pénombre en souvenir de lui, en souvenir d'eux, le voyou s'est enfui tout au fond de la nuit. Oui, il s'est bel et bien enfui comme un fou diront certains, comme un lâche diront d'autres.
La pluie continuait de battre le pavé et le jour à chaque seconde menaçait de se lever, notre homme renfonça la casquette et s'essuya le cou, la rage au ventre de n'avoir rien su faire que sauver sa peau cette fameuse nuit où il s'était enfui.
Sous le cuir que nous voyons passer aux premières lueurs de l'aube, arpentant les ruelles comme un condamné, il y a un homme qui s' allume une cigarette, pour prolonger la nuit de son intimité. Cet homme là que nous croyons vidé, une carcasse qui passe sur les grands boulevards à l'heure du breakfast de tous les p'tits costards, sur le trottoir d'en face passe la mémoire, l'histoire d'une liberté beaucoup trop cher payée, dans le coeur de cette homme ne se traîne pas un lâche, dans cette jungle-là il était un apache.

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