une lutte sans merci, sans prétention aucune, contre toute forme de mise au pas, pour l'accomplissement de l'individu dans toute sa puissance et son humilité
vendredi 21 mars 2008
Les Gravures de Goya au " Petit Palais"
Il est des moments dans la vie où quelque chose nous transporte littéralement, un frisson nous pénètre par l'éclat vitreux de la face, nous parcourt tout entier pour nous laisser enfin seul, sec comme une lame qui menace derrière l'ébauche d'un sourire. L'oeuvre problématique et iconoclaste du Maître Goya ne constitue pas seulement une révolution des techniques picturales, c'est aussi et surtout un bouleversement de la façon de penser le monde.
Il fut l'héritier de la vague lumineuse et humaniste du XIXème siècle qui remit l'Homme au centre du monde, mais c'est par ce qu'il a de plus noir qu'il voulut le montrer...on pourrait parler pour son oeuvre des "heures noires de l'humanité" en hommage à Zweig, ses deux maîtres, disait-il, étaient Velazquez et Rembrandt (voir sa galerie de portraits de cours notamment "la famille de Charles IV" inspiré des "Ménines" ou ses "peintures noires" où le travail sur l'ombre est tout simplement magique).
Les gravures datées de 1799 (aussi bien les eaux fortes que les lithographies) nous donnent à voir un monde moribond, ce que W.Kayzer appelait une "transition crépusculaire", nous sommes saisis d'emblée par les visages, ces regards profonds et terribles des nains de Philippe IV traités avec infiniment plus d'humanité que les portraits en pied du couple royal.
Les disparates ne sont autre chose que des satires, des tableaux de moeurs peuplés de vieilles célestines et de femmes crédules, de jeunes femmes dont les yeux se posent sur leur triste destinée qui va bientôt les jeter dans les bras de vieillards fortunés (bellos consejos...), une satire du pouvoir aussi où l'âne prend bonne place sur le trône.
Les Caprices qui furent salués par des symbolistes comme Maeterlinck révèlent la métaphysique de l'artiste, la nuit cauchemardesque dans laquelle la surdité l'avait plongé fut projetée sur la plaque de cuivre, des êtres monstrueux, désarticulés, d'énigmatiques et terribles Sabbah, la danse macabre d'une jeune fille avec le
démon cornu, et surtout, l'autoportrait: "Le sommeil de la raison engendre des monstres incroyables", tant de visiteurs passent devant sans s'y arrêter que c'en est désespérant, pourtant tout est là, l'artiste en proie à ses démons, ne trouve aucun refuge, la tête dans ses bras, il ne peut échapper à ses hallucinations tant elles pénètrent par toutes les failles de son être.
Ces visions monstrueuses, ces hiboux maléfiques, ce chat, héraut de la mort, qui nous regarde le regarder. Tous ces visages ont cessé d'être humains, ce sont les masques de la peur, ils rient de l'agonie d'un homme qui sombre (Gainsbourg disait de goya qu'il était "fou à lier". Mais il y a aussi une dimension carnavalesque témoignant tantôt par miniaturisations tantôt par gigantismes de la déformation d'un monde.
On poursuit la visite la tête un peu plus lourde, la démarche plus fébrile et voilà que les "désastres de la guerre" viennent nous donner le coup de grâce. On sort à peine du monde de l'ombre qu'un flash écarlate nous aveugle tout à coup et on pense à la phrase de Breton: "le rouge est la couleur que prend le noir quand le malheur dont il ricane ne vient pas de Dieu mais des hommes"...
Prévert l'a dit et Goya avant lui "quelle connerie la guerre!", il fut le premier à en finir avec une représentation héroïque et épique des batailles, il dit la guerre dans ce qu'elle a de plus sanglant ("no se puede saber por qué"), des corps empalés sur des troncs d'arbre("Garrote vil"), des femmes au canon, des enfants jonchés sur un amoncellement de cadavres, face aux troupes napoléoniennes, la guerre (1808-1812), dans ce qu'elle a aussi d'absurde, plongea toute l'Espagne dans une nuit plus épouvantable que n'en avait jamais connu l'artiste.
On ne peut sortir indemne d'une telle chute, la lumière de la nuit vient de nous foudroyer, en ces temps de crise je ne peux que vous conseiller d'y courir...bouleversant!!!
NB: Réfléchir sur les titres lapidaires que Goya a donnés à chacune de ses gravures, se méfier de la traduction qui est souvent très mauvaise...
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1 commentaire:
Merci ça donne envie...
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